phd : Prendre des heures de Détente

La newsletter d'un thésard avec un peu trop de temps libre.

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Par Jules Edwards
6 nov. · 6 mn à lire
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Situation : “C’est compliqué”

Mieux vaut trop que pas assez

Pour commencer, merci pour vos quelques retours sur la précédente newsletter ! Je pense que je vais pas mal expérimenter, que ce soit sur la forme ou le fond (et la fréquence) au cours des prochains numéros. N’hésitez donc pas à me faire un retour si vous avez des suggestions (et oui, je vais essayer de faire un logo plus joli). Au programme, on parle de trucs compliqués (ou complexes ?), des prix (Ig)Nobels et d’un jeu !

Situation : “C’est compliqué”

Aujourd’hui, je voudrais parler de quelque chose qu’on m’a souvent répété lorsque je dis que je suis en thèse, et qui est, je pense, partagé par beaucoup de doctorants, tous milieux confondus. Lorsque la famille ou les amis me demandent ce que je fais en thèse, je pense que certains d’entre eux ont des appréhensions lorsqu’ils me demandent “Mais du coup, tu travailles sur quoi ?”, de peur de ne pas pouvoir comprendre un traître mot de ce que que je vais bien raconter. Et pour certains de rajouter “Moi j’ai jamais été bon en math, ou plutôt les maths m’ont jamais aimé *rires*” et que de fait c’est normal s’ils ne comprennent pas. Et c’est en partie vrai, ce qu’on fait en études supérieures/en thèse est parfois (très) comliqué. Mais ça n’est pas incompréhensible pour autant, et c’est aussi en partie le travail des scientifiques de savoir parler de leur sujet de façon intelligible. Et surtout, il faut le répéter, nous non plus on comprend pas tout de ce qu’on fait, et c’est ce qui rend la chose intéressante : on étudie quelque chose de nouveau, qui n’a pas encore été compris par les autres scientifiques. Si ça c’est pas magique quand même !

Ces réflexions m’ont donc amené à quelques questions : à partir de quel moment ça devient “trop compliqué” quand on fait des sciences ? Est-ce que c’est un souci si ça le devient trop ? Et comment faire pour parler de sujets de recherche super compliqués ?

Trop compliqué (?)

Avant tout, je tiens à (re)préciser que ce dont je vais parler ci-dessous est très subjectif et en grande partie issu de mes réflexions, je ne cherche surtout pas à énoncer une quelconque vérité. Il est possible que je lance quelques banalités, mais j’essayerai d’étayer mon point de vue et de le rendre intéressant du mieux que je peux.

Au quotidien, je travaille avec un truc super méga complexe: le vivant. Comme on a jamais deux fois la même expérience avec des cellules vivantes, il faut toujours recommencer au moins trois fois pour que nos conclusions se tiennent. Et à essayer de comprendre, par exemple, pourquoi j’ai plus de cellules dans ma flasque (sorte de boîte en plastique dans laquelle on fait de la culture cellulaire) aujourd’hui par rapport à hier, on peut très rapidement s’enfermer dans une spirale de complexité. En bref, on avance pas vraiment. Mais pour moi les cellules sont plutôt un “ingrédient” qu’un sujet d’étude : ça veut dire que, comme si je cuisinais un gâteau, je ne vais pas mettre en cause ma farine ou mes œufs si mon gâteau n’est pas bon, c’est certainement mon talent de pâtissier que je reconsidèrerai en premier. En raisonnant comme ça, je peux rendre mes problème beaucoup moins compliqués, même si le sujet globalement reste très complexe !Cette boîte en plastique permet de cultiver des cellules. Ces dernières étant toutes petites (un centième de milimètre), on a besoin d'un microscope pour vérifier qu'elles sont en bonne forme. Crédits photos : CNRS Image.Cette boîte en plastique permet de cultiver des cellules. Ces dernières étant toutes petites (un centième de milimètre), on a besoin d'un microscope pour vérifier qu'elles sont en bonne forme. Crédits photos : CNRS Image.De façon plus générale sur mes questions de recherche, je ne peux ni tout contrôler, ni tout comprendre. Pour ça, il faudrait que je sois super fort en biologie, en chimie, en physique, et en plein d’autres domaines que jamais je n’aurais fini d’étudier en une seule vie. Donc je suis obligé de partir du principe que tous mes ustensiles et mes ingrédients sont bons, je peux alors essayer de répondre aux questions que je me pose avec mon gâteau de cellules. Ça s’apparente à un raisonnement très cartésien, diviser les problèmes complexes en des problèmes plus simples pour mieux comprendre notre sujet à l’échelle choisie.

Faire des ponts

Maiiiiiiiiiiiiiiiiis (car oui il y a un “Maiiiiiiiiiiiiiiiiis“) ce genre de raisonnement pourrait laisser penser que les chercheurs ne seraient “que” des scientifiques extrêmement spécialisés et travaillant sur des questions tout aussi spécifiques. Or, c’est souvent grâce à différentes perspectives que l’on peut avancer un peu : par exemple, le biologiste pourra s’appuyer sur le physicien pour l’aider à comprendre comment les bactéries bougent et se propulsent. “Il faut de tout pour faire un monde”, et c’est tout aussi vrai dans la science, en particulier parce que tous les domaines s’entrecoupent à un certain moment. Et c’est de se rendre compte du moment à partir duquel on n’est plus compétent sur une question qui est sûrement le plus difficile.

Et c’est là où interviennent aussi les domaines transdisciplinaires, comme la biophysique (ce que j’étudie en thèse), où l’on essaye d’étudier des systèmes biologiques, mais en essayant dès le départ de prendre un point de vue de physicien. Autrement dit, les physiciens nous reprochent de faire trop de biologie, tandis que les biologistes plutôt de trop faire de physique. C’est alors un équilibre assez délicat, car pour s’adresser à l’une ou l’autre des communautés il faut alors adapter son discours, et avoir suffisamment de connaissances pour répondre à la plupart des questions. Mon ancienne maître de stage disait à propos des domaines transdisciplinaires “Bon partout, excellents nulle part”, et ça me fait encore plus rire (comprendre souffler du nez) depuis que je suis en thèse de biophysique. Puis d’une certaine façon, j’aime bien être dans ce flou artistique, cet entre-deux ambigu. D’avoir la mesure de tout ce que je ne connais pas et de tout ce que je peux apprendre dans ces domaines très complexes. Mais ce qui me plaît par dessus tout, c’est de réaliser à quel point j’arrive à aborder et assimiler quelque chose qui me paraissait très difficile à appréhender au premier abord. Reste quand même de se convaincre initialement qu’on a les capacités/les moyens d’essayer de comprendre (coucou le syndrome de l’imposteur).

Comment parler de trucs compliqués ?

Bon, faisons un petit bilan. Pour essayer de comprendre des choses, on peut essayer de simplifier ladite chose en étant au clair sur ce que je ne contrôle pas et ce que je ne connais pas. On peut aussi chercher à faire des ponts entre plusieurs domaines, et donc aborder les problèmes avec des points de vues très différents et complémentaires. Mais concrètement, comment on fait pour parler de ces choses compliquées ? Parce que, que ce soit clair dans ma tête, tant mieux, mais il faut aussi que je puisse en parler aux autres

On oppose souvent les “littéraires” aux “scientifiques”, comme si ces derniers étaient des sortes de machines humaines parlant uniquement dans un langage hyper technique. Alors qu’au final c’est exactement comme dans les autres corps de métiers, il y a des gens plus doués que d’autres pour parler de ce qu’ils font. Bon après, dans le cadre de la thèse on s’adresse la plupart du temps à des gens qui sont du domaine ou qui ont à minima des connaissances de base, donc pas besoin de faire trop d’efforts non plus, tant que les résultats et les conclusions sont là. L’enjeu de la question de la complexité du discours est à mon sens bien plus important quand on s’adresse à un public non-initié, et dans ces cas là, la façon de s’exprimer est souvent aussi complexe que le message scientifique derrière.

On a donc affaire à un équilibre assez difficile à gérer : à la fois, il faut se focaliser sur la façon dont on présente le sujet tout en simplifiant le message scientifique. Mais à trop se focaliser sur la manière de présenter, on risque de simplifier le message à outrance et avoir un discours qui ne dit pas grand chose, et en voulant traiter d’un sujet un peu poussé niveau sciences, on peut très facilement perdre tout le monde parce que ce qu’on raconte est très peu accessible. Au final l’enjeu est de montrer que le sujet est complexe en utilisant des mots simples et des concepts accessibles à tous. Mais il faut aussi prendre en compte le public auquel on s’adresse : des adolescents en lycées n’auront ni les mêmes attentes ni la même attention que des adultes ! Et je pense c’est vraiment ce qui me plaît autant dans la vulgarisation en tant que spectateur, c’est de découvrir que des sujets qui me semblaient pas super intéressants au premier abord sont finalement beaucoup plus complexes que ce que je pouvais imaginer. Et en tant qu’orateur, ça n’est pas tellement de susciter des vocations sur mon sujet précisément, mais c’est essayer de faire en sorte que les gens arrive à ressentir à quel point les questions sur lesquelles on peut travailler sont complexes, et que c’est une bonne chose parce que ça signifie qu’il y a encore plein de choses qui restent à explorer et à comprendre.

Quelques liens

Comme chaque année les prix Nobel, qui récompensent de grandes découvertes scientifiques dans tous les champs d’études, sont tombés. Et comme chaque année, pas en math. La légende raconte qu’Alfred Nobel aurait été fait cocu par un mathématicien, et qu’il aurait alors boudé le champ de recherche. Mais il semblerait que cette thèse, malgré le fait qu’elle me fasse bien rire, ne soit pas la seule envisagée, voire la moins probable. Mais je digresse, vous trouverez parmi la liste des Prix Nobel 2023 notamment les chercheurs Katalin Karikó et Drew Weissman, pionniers des vaccins à ARN messagers, utilisés massivement durant l’épidémie de COVID-19. Comme l’indique l’article du Monde, ces derniers sont des “bambins” du Nobel, qui est souvent attribué des années, voire des dizaines d’années après la découverte. Pour comparaison, Alain Aspect, Prix Nobel de physique français en 2022, avait conduit ses expériences en 1982, soit 40 ans avant de recevoir le prix !

Mais est-ce que vous connaissez les Ig-Nobel ? Ces prix, qui sont des parodies de Prix Nobel, récompensent 10 recherches scientifiques qui font rire au premier abord mais qui amènent à réfléchir par la suite (mediter…..). Rien que le nom est assez évocateur, entre jeu de mot avec Nobels et “Ignobel” (ignoble en français) on comprend que l’on a affaire à quelque chose de plutôt rigolo. Et le lien entre les deux prix ne s’arrête pas là : les Ig-Nobels sont souvent présentés par les lauréats du prix Nobel de l’an dernier ! Et le cru 2023 était très bon, on avait par exemple deux chercheurs japonais qui ont étudié comment des baguettes électriques pouvaient modifier le goût de la nourriture, ou encore une équipe internationale de chercheurs qui ont méthodiquement étudié l’ennui des élèves ainsi que des profs en classe. Vous retrouverez la liste complète (en anglais) ainsi que celle des années précédentes directement sur le site internet des prix Ig-Nobel ! Sa fé réflaichir (mais surtout rigoler)…Le logo des Ig-Nobels, prénomé "The Stinker" (le mec qui pue) en référence à "The Thinker" (le penseur) de Rodin. Oui, c'est juste parce que ça se prononce un peu pareil et que c'est rigolo.Le logo des Ig-Nobels, prénomé "The Stinker" (le mec qui pue) en référence à "The Thinker" (le penseur) de Rodin. Oui, c'est juste parce que ça se prononce un peu pareil et que c'est rigolo.

500 mots sur … “Chant of Sennaar” (2023)

Dans cette petite rubrique, je veux partager un jeu vidéo, un album, un livre, une série (ou que sais-je) que j’ai apprécié. En essayant, bien-sûr, d’expliquer en quoi c’est sympa (et en 500 mots) !

Pour cette semaine de vacances de mon côté, c’était retour au bercail avec une semaine de pluie ! Un temps parfait pour passer une petite dizaine d’heure à jouer à “Chant of Sennaar”, un jeu sorti début septembre, développé par Rundisc (studio toulousain, cocorico) et édité par Focus Entertainment. On y incarne un voyageur qui semble sortir d’un long sommeil, et qui débarque dans une tour habitée par 4 mystérieux peuples : des humains, des guerriers, des élus et des dieux. En bas de la tour, parmi les humains, notre but est donc de gravir la tour, d’aller à la rencontre de ces peuples en résolvant de nombreuses énigmes pour grimper les étages. Tout ça à un petit détail près : vous ne savez parler la langue d’aucun de ces peuples !Ici, le texte n'est qu'en partie traduit : le mot "instrument" est connu, mais je n'ai fait aucune hypothèse sur les autres symboles, qui apparaissent donc comme "..." dans la traduction.Ici, le texte n'est qu'en partie traduit : le mot "instrument" est connu, mais je n'ai fait aucune hypothèse sur les autres symboles, qui apparaissent donc comme "..." dans la traduction.

A l’aide d’un petit carnet (dans le jeu bien-sûr), il vous faudra alors faire de nombreuses suppositions sur la signification des signes que les peuples utilisent pour vous parler, et vous référer à tout ce que vous pourrez trouver dans cette tour pour mieux comprendre ce dont on vous parle. Une fois un certain nombre de sigles découverts, une page de dessins s’ajoutera à votre carnet, et il vous faudra alors associer le sigle au dessin correspondant pour débloquer la traduction automatique de ce sigle dans les dialogues. Les conversations deviendront alors plus claires, et il sera beaucoup plus simple de comprendre les différentes énigmes.

Près de la porte, le personnage que l'on incarne, avec une patte graphique que j'aime beaucoup, notamment grâce au cel-shading (les contours noirs et les jeux de lumière assez particuliers). Près de la porte, le personnage que l'on incarne, avec une patte graphique que j'aime beaucoup, notamment grâce au cel-shading (les contours noirs et les jeux de lumière assez particuliers). J’ai beaucoup apprécié jouer à Chant of Sennaar ! La direction artistique m’a beaucoup plu, notamment l’aspect cartoonesque créé par le cel-shading, qui correspond à ce jeu de lumière et ces contours noirs assez caractéristiques (appelé “ombrage de celluloïd” en français, ce qui est bien moche lol). La mécanique de compréhension des langues au fur et à mesure est extrêmement bien pensée, et on se prend très facilement au jeu d’essayer de décrypter ce que dit notre interlocuteur à coup de suppositions loufoques. On les notes en tapant au clavier (et étonnement sur la Switch c’est plutôt confortable avec les prédictions de mots) et en parlant aux gens, ce qu’on a tapé s’affiche automatiquement, ce qui des fois donne des phrases sans queue ni tête, mais nous aide à comprendre que telle ou telle supposition n’est pas adéquate. Une ou deux fois, j’ai du faire plusieurs aller-retours un peu partout afin de trouver des indices, ce qui m’a légèrement frustré, mais je n’ai jamais senti que les solutions étaient particulièrement difficiles, ou tirées par les cheveux, notamment parce que tout devient assez limpide dès que l’on a traduit l’entièreté des signes d’un langage.

C’est donc un grand oui de mon côté, j’ai passé un très bon moment ! Le jeu est disponible sur Switch, PC, PlayStation et Xbox pour une vingtaine d’euros.


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Merci, et à la prochaine !
Jules, pour phd