phd : Prendre des heures de Détente

La newsletter d'un thésard avec un peu trop de temps libre.

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Par Jules Edwards
13 sept. · 8 mn à lire
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Ma thèse en 180 secondes (ou presque)

On parle de micro-clés de douze, de thèse en 3 minutes et de padchanss célavi

Salut !

Avant de rentrer dans le vif du sujet, petit instant “autopromotion”.

Avec un de mes potes, Lucas, on a créé une chaîne Twitch : MilliPicoSciences ! Notre but est de réussir à vulgariser la recherche et les sciences au travers d’émissions hebdomadaires où on va chercher les chercheurs, doctorants, techniciens, ingénieurs et on discute avec eux ! En bref, tous ces gens qui font de la recherche ! On trouve dommage que la recherche et le quotidien des chercheurs reste cantonnée aux laboratoires, et on aimerais aider un peu à partager tout ça ! On essaye de faire des streams tous les mardis soirs vers 21h, donc si ça vous intéresse, n’hésitez pas à aller faire un tour sur la chaîne, et abonnez vous pour recevoir des notifications quand on sera en live ! D’ailleurs, on sera en live mardi soir à 19h, hésitez pas à passer faire un tour !

Sur un autre sujet, l’année dernière, j’ai pu partir au Japon pendant 3 semaine, où j’ai visité le laboratoire avec lequel j’ai un partenariat dans ma thèse et fait 2 semaines de vacances. J’ai écrit une newsletter appelée '“Premier pas nippons” qui me servait de carnet de bord, où je notais et relatais mes expériences à chaud, et qui servait aussi de prétexte à poster plein de photos. J’avais écrit cette newsletter sur Substack, mais à cause de quelques problèmes vis-à-vis de la gestion de la plateforme, j’ai préféré migrer sur Kessel, qui est en plus une plateforme française (cocorico). J’ai importé tous mes précédents articles sur mon compte Kessel, et vous pouvez y accéder ici ! Et spoiler cet été, j’ai à nouveau un “petit” projet Japon, qui me fera réécrire quelques newsletters… Si vous étiez déjà abonnés à “Premiers pas nippons” : rien ne change, j’ai pu transférer les adresses e-mails et vous recevrez tous les futurs articles sur le Japon. Et si vous n’êtes pas encore abonné, n’hésitez pas ! (cliquez le lien !)

Après ce “petit” aparté, reparlons sciences, reparlons thèse… en 3 minutes !

Comment résumer une thèse en 3 minutes ?

Dans ma précédente newsletter, j’ai raconté ma préparation et mon passage à ma première conférence scientifique. Dans cette newsletter, je voudrais prendre le temps de (enfin !!!) résumer en termes clairs mon sujet de thèse, et parler un peu de … Ma thèse en 180 secondes !

“Alors, c’est quoi ton sujet de recherche ?”

Au quotidien, j’ai une double casquette : thésard et microplombier. Ça peut sembler bizarre au premier abord, mais ça résume assez bien ce que je fais dans ma thèse : fabriquer des tuyaux. Après, c’est des tuyaux un peu spéciaux hein, pas de vulgaires tubes de PVC, ils font le diamètre d’un cheveux et sont tapissés de cellules humaines : ce sont des vaisseaux lymphatiques. Et là avec “lymphatique” je dois déjà en avoir perdu quelques uns mais je vous rassure, mon premier jour quand mon directeur de thèse m’a expliqué que j’allais bosser là dessus, j’ai aussi une réaction du genre “h e i n”. Après, je me suis renseigné un peu (“J’ai fait de la biblio” comme on dit dans le jargon), et en fait le système lymphatique ça a un rôle hyper important dans le corps !

En bref, c’est un réseau de vaisseaux qui parcourt tout le corps et dans lequel s’écoule un liquide : la lymphe. Ce que vous avez peut être à l’esprit (notamment quand on parle ganglions lymphatiques) c’est le rôle du système lymphatique dans l’immunité. Effectivement c’est là que sont créés et gérées les globules blanc, qui iront remettre de l’ordre si des bactéries ou des virus se retrouvent dans votre corps. Mais en plus de ce rôle de “gendarmerie” du corps humain, le système lymphatique sert aussi de station d’épuration naturelle ! Lorsque vos vaisseaux sanguins vont envoyer du sang riche en nutriments et en oxygène dans vos organes, du liquide des déchets vont naturellement s’accumuler dans les tissus tout autour. Mais si rien n’est évacué, à force de s’accumuler vous risquez de vous transformer en Bibendum Michelin rapidement (pas ouf du coup). L’autre rôle des vaisseaux lymphatiques est donc d’évacuer ces eaux usées en les pompant, en les filtrant puis en réinjectant le liquide restant dans la circulation sanguine (parce que si du liquide sort du système sanguin, il doit bien y re-rentrer quelque part, c’est un système fermé !)

Et en tant que micro-plombier, c’est cette fonction “station d’épuration” qui m’intéresse, en particulier si la tuyauterie lymphatique est endommagée par des maladies. Dans ces cas là, les eaux usées du corps sont alors mal évacuées dans certaines parties du corps et font gonfler les tissus : apparaît alors ce qu’on appelle un lymphœdème. Le souci, c’est que je suis micro-plombier, pas médecin, donc je vais pas aller trifouiller et réparer les vaisseaux lymphatiques des gens (heureusement pour eux d’ailleurs). Par contre, avec mes micro clés-de-douze de micro-plombier, j’ai tous les outils pour comprendre ce qui pourrait se passer dans un système artificiel ! Donc, c’est ce que je vais fabriquer dans mon laboratoire-atelier : des vaisseaux lymphatiques artificiels (ça claque non ?)

Bon, encore une fois je vous rassure, mon but n’est pas à terme de les greffer chez qui que ce soit. Le but de ma thèse c’est de mieux comprendre le lymphœdème en reproduisant l’environnement de la maladie à l’échelle d’un vaisseau, et en regardant comment un vaisseau lymphatique en bonne santé va évoluer dans les conditions de la maladie. Après peut-être que vous vous dites que bon, c’est bien sympa tout ça, mais mes vaisseaux-trucs là, ben ça doit être super difficile à fabriquer non ? Et c’est là ou je trouve le sujet véritablement passionnant : un vaisseau lymphatique, c’est super simple à faire ! Je peux même vous expliquer en 3 étapes comment on en fabrique un. Pour ce faire, il vous faut 3 ingrédients, et le plus important, c’est le collagène. C’est la protéine la plus abondante du corps humain, et comme son nom l’indique (presque), elle permet de coller et structurer l’environnement tout autour des vaisseaux. Après, il vous faut une aiguille d’acupuncture, et des cellules lymphatiques humaines. Une fois le tout réuni, il vous suffit de suivre ces 3 étapes :

  1. Prenez un moule et remplissez-le de collagène. Avant que le collagène ne gélifie, plongez-y une aiguille d’acupuncture et laisser reposer 30 minutes. En retirant l’aiguille, vous obtiendrez un tube de collagène creux.

  2. Tapissez l’intérieur avec les cellules lymphatiques humaines, et remplissez le tout avec des nutriments à cellules.

  3. Enfourner à 37°C pendant 24h.

  4. (En fait y’a pas d’étape 4)

Je vous jure que c’est presque aussi simple que ça !… Bon ok, j’ai un peu menti, y’a pas mal d’étapes intermédiaires. Mais dans les grandes lignes, c’est ce que je fais au quotidien quand je fais mes expériences. Donc à la question “Qu’est-ce que tu fais dans ta thèse”, dans mon cas, je peux répondre fièrement “Je fabrique des tuyaux”.

En plus, peut importe si on rit de moi, je suis convaincu que ma thèse sera un t u b e.


Je suis super content d’avoir enfin pu prendre le temps d’écrire ce bout de texte pour parler de ma thèse ! Mais il faut que je fasse une confession : ce texte n’est pas vraiment une exclusivité pour la newsletter... En effet, il est principalement tiré du texte que j’ai écrit pour mon passage à la demi-finale de Ma Thèse en 180 secondes ! Vous ne savez pas ce que c’est ? Pas de souci, je vous explique juste en dessous !

Qu’est-ce que c’est, Ma Thèse en 180 secondes ?

MT180 est un concours qui, comme indiqué sur son site internet, “permet aux doctorants de présenter leur sujet de recherche, en français et en termes simples, à un auditoire diversifié.” Le twist ? Comme son nom l’indique, on doit expliquer tout ça en 180 secondes tout pile, pas plus ! L’exercice est inspiré de Three Minutes Thesis, son ancêtre anglophone créée à l’université de Queensland en Australie, et a été repris en 2012 au Québec avant d’être étendu à toute la francophonie. En terme d’organisation en France, le concours est regroupé par université. Par exemple, l’académie de Montpellier et l’académie de Toulouse organisent toutes les deux une sélection, mais cette dernière n’a pas forcément les mêmes critères. De mon côté, étant inscrit à l’université de Toulouse (car on dépend forcément d’un établissement universitaire lorsqu’on prépare une thèse), le concours commençait par une demi-finale et une finale régionale. Nous étions répartis en groupe, et avons eu 2 à 3 jours de formation afin de préparer notre prestation. Le 5 février avait lieu la demi-finale, et sur les 50 personnes qui participaient, 16 ont étés retenus pour la finale régionale en mars. Parmi ces 16 candidats et candidates, seuls deux seront retenus à l’issue de la finale, et ces derniers pourront alors monter à Paris pour participer à la demi-finale nationale qui regroupe les lauréats de chaque finale régionale. Ensuite, le schéma reste le même, la demi-finale en sélectionne à nouveau 16, et la finale nationale seulement deux, qui pourront alors aller au concours international, où le schéma est identique. International ne veut pas dire que des candidats feront l’exercice en anglais, ils affronterons simplement des candidats francophones d’autres continents, comme en Afrique ou au Québec par exemple.

Voilà un peu pour la petite explication ! En termes général, le public peut assister aux finales des différentes étapes (et vous trouverez quelques dates ici !), mais le plus intéressant est que tous les passages à partir des finales régionales sont enregistrées, et publiés sur la chaîne YouTube de MT180. Chaque passage durant 3 minutes, c’est un bon moyen de découvrir différents sujets de recherche !

De mon côté malheureusement, je me suis arrêté à la demi-finale régionale, mais l’expérience fut tellement intéressante que je voulais absolument en parler ici !

Mais comment on résume une thèse en 3 minutes ?

Déjà, cette question je pense que tous les doctorants se la sont posés durant leur thèse. Ça nous arrive assez régulièrement, soit dans notre famille où lorsqu’on rencontre de nouvelles personnes, et que LA question est posée : “Ah tu fais de la recherche ? Et c’est quoi ton sujet de thèse ?”. Typiquement, on attend de nous qu’on réponde ça en quelques minutes, sauf que c’est super difficile. C’est notamment ce que j’essaye d’expliciter grâce à cette newsletter : la recherche est un domaine assez particulier, et qui ne ressemble pas vraiment à un autre travail. Et pire encore, les pratiques changent complètement en fonction du domaine, un thésard en sciences sociales ne travaille pas du tout comme un physicien, un chimiste ou un biologiste, et eux même ne travaillent pas de la même manière ! Donc souvent, soit on résume dans les très grandes lignes ce qu’on fait, quitte à simplifier au maximum, même si ça n’explique pas grand chose du coup (du genre “Je fais de la physique”) ou alors on essaye d’expliquer, et dans ces cas là on a 2-3 minutes si on ne veut pas complètement perdre la ou les personnes qui nous ont posé la question. Participer au concours consiste finalement à répondre à cette question simple.

De mon côté, une fois inscrit au concours en novembre, reste à préparer le texte. L’exercice en lui même est plus une mini pièce de théâtre qu’un discours scientifique, l’idée est de se glisser dans un rôle, et d’utiliser son sujet de thèse comme support à cette mini représentation (qui doit quand même être factuelle scientifiquement parlant !). Notamment, on sait tous pertinemment qu’on ne pourra pas aborder tous les détails de notre thèse, donc le but est de faire ressortir deux trois idées qui sont importantes et/ou qu’on trouve intéressantes. Après le premier jour de formation, où on nous explique les règles du concours et où on nous donne quelques conseils, il faut passer à la première étape : la rédaction du texte. De mon côté, avec la conférence de décembre, j’ai mis pas mal de temps à me mettre à la rédaction, mais début janvier j’ai finalement réussi à produire un premier jet.

A force d’écrire de plus en plus ces derniers temps, je me suis rendu compte que j’avais une façon d’écrire assez “instinctive” : je vais tergiverser pendant quelques temps et puis un jour, je vais écrire un texte presque d’une traite. Ensuite, j’y reviens plus tard, parfois un jour ou une semaine après, et je vais reprendre des bouts du texte qui me plaise pas, ou alors modifier des tournures de phrases etc… Et c’est exactement ce qui s’est passé avec MT180, j’ai mis toutes les vacances de décembre à me poser la question de comment je pourrais bien écrire et tourner mon sujet, et finalement quelques jours avant ma seconde journée de formation, j’ai pris deux heures et j’ai eu mon premier jet. Une fois le texte écrit, la seconde étape est le passage de la table à la scène. Grosso modo, ça veut dire lire son texte et le rendre plus “théâtral”, car un texte écrit n’a pas toujours la forme adaptée pour être lu ou joué. Reste alors à modifier plein de petits trucs ici et là, changer des tournures de phrases et fixer les idées qu’on veut développer en 3 minutes. Puis, une fois tout cela fait, reste la dernière étape : jouer son texte.

N’ayant pas de formation théâtrale, ça semblera sûrement assez évident si vous en avez une, mais lorsqu’on m’a demandé de jouer mon texte, soudainement j’ai pris conscience de tout ce que le corps peut exprimer sans qu’on ai besoin d’ouvrir la bouche. Et dans mon cas, il y en avait des choses à travailler : j’ai tendance à beaucoup “parler” avec mes mains, mais sachant que ma main droite allait tenir un micro le jour de mon passage, il fallait que je réfléchisse précisément à comment bien utiliser ma main gauche, pour éviter qu’on ne voit que ça le jour de mon passage. Autre chose importante, c’est que je piétinais beaucoup, et ne savais pas vraiment comment bouger dans l’espace, et encore une fois, on ne voyait que ça à la longue. Là aussi, il faut prendre conscience de son corps, et réfléchir à nos déplacements dans l’espace. Une fois ce travail réalisé, on se rend clairement compte comment la communication non-verbale peut aider un discours à transmettre des idées, et c’était passionnant !

La scène, la scène, la scène

Après avoir écrit son texte, l’avoir passé de la table à la scène, avoir peaufiné son jeu et s’être entraîné au moins 3 fois par jours pendant deux semaines, on est fin prêt pour l’épreuve (demi-)finale : la représentation devant un public. Pour l’académie de Toulouse, c’est une étape qui ne se fait pas devant le grand public, mais devant des classes de lycéens (plus de 200 personnes quand même !), avec qui un échange est organisé à la fin des passages. Avec 50 candidats en lice, on est répartis en deux groupes : l’un le matin et l’autre l’après-midi. On est convoqués 1h avant les passages, histoire d’avoir le temps d’arriver et qu’on nous donne toutes les infos sur le déroulement du concours. Une fois toutes les consignes données, on se lance sur scène, et c’est parti. 3 minutes, pas plus, pas moins. Toutes les répétitions doivent porter leurs fruits maintenant.

Bon en fait je suis le 6ème à passer, ça veut dire qu’il faut que j’attende en stressant un peu (beaucoup).

Un passage, deux passages, trois passages … ça arrive vite ! Et d’un coup on s’exprime sur la scène : “On appelle Jules Edwards”. Je sors des coulisses, sourire au lèvres (faut faire bonne impression hein) et je prends le micro qu’on me tends. On annonce le titre de ma présentation “Mieux comprendre le lymphœdème grâce à des vaisseaux lymphatiques artificiels”, et on dit aussi que je travaille au LAAS-CNRS et on donne mon université de rattachement.

“Jules, est-ce que tu es prêt ?” me demande t-on. “Oui, je suis prêt”

Un décompte se lance : “Trois, deux, un… TOP” et le chronomètre qui affichait 180 seconde se lance. C’est parti.

L’après-station

Trois minutes plus tard, on m’applaudit, puis je repasse en coulisses : ayé c fé. Tout ce travail et tout ce stress on donné ce moment, et cette prestation qui je pense était la meilleure de tous mes entraînements passés. Aucun regrets donc, il ne reste plus qu’à écouter le passage des autres, soutenir les collègues avec qui j’ai fait les journées de préparation et profiter. Une fois les passages terminés, on nous demande tous sur scène, et on fait passer un micro pour répondre aux différentes questions des lycéens : un moment d’échange hyper agréable ! Une fois les lycéens partis du théâtre, c’est le soulagement : on se félicite mutuellement avec tout le monde, puis la vie reprend son cours jusqu’à l’annonce des résultats par mail vers 18h. On décide d’aller se poser dans un bar histoire d’attendre au chaud, avec un petit remontant (pas d’alcool, on serait parti bien vite sachant qu’on avait quasi tous pas mangé avant de passer sur scène).

18h, les résultats tombent : je ne suis pas sélectionné.

Sadge.

Mais simultanément, une sensation de soulagement m’envahit : au moins, ça m’enlève ce poids et ces répétitions à faire de la tête. Puis, j’étais tellement content de mon passage (qui objectivement était vraiment au dessus de tous mes entraînements !!!) que je n’avais aucun regrets, je ne vois pas comment j’aurais pu mieux faire ! C’est donc comme ça, les jurés ne m’ont pas sélectionnés, c’est la vie !


Voilà un peu pour cette petite épopée qu’était Ma Thèse en 180 secondes. C’était le prétexte parfait pour parler aussi de ma thèse, donc je pourrai renvoyer à cette newsletter. Volontairement, j’ai voulu ne pas mettre d’images, j’espère que c’était suffisamment clair sans (n’hésitez pas à faire un retour par mail!).

Pas de petite section pour des recommandations, je pense que c’est suffisamment dense comme ça !

Bonne semaine à tous, et à la prochaine !

Jules, pour phd